
Les accords fiscaux avec de grandes entreprises, qui savent mettre leurs intérêts commerciaux au-dessus de toute autre considération, suscitent de vives critiques, comme le révèle un nouveau rapport parlementaire.
Qu’il soit trop laxiste ou trop clément, le fisc français essuie les mêmes critiques. D’autant plus dans une France où le déficit se creuse, fragilisant les finances publiques et compromettant les investissements d’avenir.
Emmanuel Besnier, patron de Lactalis, en a fait l’amère expérience le 17 juin dernier lors de son audition devant la commission d’enquête sénatoriale sur les aides aux grandes entreprises.
Alors que Bercy réclamait à son groupe des sommes astronomiques pour des montages financiers passant par la Belgique et le Luxembourg entre 2006 et 2019, celui-ci s’en est tiré à bon compte, clôturant l’affaire contre 475 millions d’euros.
« Malgré le différend d’interprétation, j’ai préféré régler le passé pour me tourner vers l’avenir« , a justifié le patron devant des sénateurs médusés. Le rapporteur Fabien Gay n’a pas manqué de réagir : « Puisque vous êtes sûrs de vous et que toutes les allégations sont fausses, vous auriez dû aller au procès ! ».
Le sentiment d’une justice fiscale à deux vitesses
Sans le savoir, Besnier venait de raviver un vieux débat : celui d’une justice fiscale « forte avec les faibles » et « faible avec les forts ». Dès le lendemain, un rapport parlementaire pointait justement du doigt cette pratique.
Adopté par la commission des finances de l’Assemblée nationale, le document critique vertement les « règlements d’ensemble » – ces accords permettant au fisc de réduire ses exigences sur des dossiers complexes.
Pour les députés Mathilde Feld (La France insoumise) et Nicolas Sansu (Gauche démocrate et républicaine), il s’agit d’« une pratique opaque » et « dépourvue de base légale ».
« Les règlements d’ensemble profitent avant tout aux individus les plus riches et aux grandes entreprises, nuisant ainsi à l’égalité devant l’impôt », dénoncent-ils, parlant d’une « fiscalité négociée », qui plus est, en pleine expansion.
En effet, le nombre de ces arrangements a quasiment triplé en six ans, alors qu’ils étaient censés rester exceptionnels pour des « cas particulièrement complexes ». Étaient concernés en 2024 : 92 particuliers fortunés et 223 entreprises.
Du pragmatisme ou de la capitulation ?
Sur 2,6 milliards d’euros réclamés initialement par l’État, seuls 740 millions ont finalement été encaissés. Le ministère de l’Économie a ainsi renoncé à 1,9 milliard d’euros, un montant qui aurait pu financer des hôpitaux, des écoles ou des infrastructures.
« Cette procédure le montre : être riche, c’est être exilé des formes ordinaires de loi« , analyse avec justesse Jérôme Batout, économiste et philosophe, auprès du Monde. Face au tollé, Bercy défend une stratégie imposée par des dossiers « juridiquement compliqués » où la jurisprudence reste floue.
Dans ces zones grises du droit fiscal, l’administration préfère « toucher moins, mais tout de suite, et de façon certaine ». Cette logique occulte toutefois une réalité plus gênante : en cédant systématiquement, l’État signale aux plus gros contribuables qu’ils peuvent jouer avec les règles fiscales en toute impunité, quitte à négocier ensuite.
Face à ces dérives, les députés recommandent trois mesures : encadrer légalement ces accords, créer un service spécialisé pour réduire la « complexité » invoquée, et améliorer la transparence pour permettre un véritable contrôle démocratique.
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